FNACA DE PARIS

TÉMOIGNAGE DE MICHÈLE LE SI


Au sujet de son frère, Richard

J’avais 12 ans quand mon frère, Richard, a été « appelé » pour faire son service militaire obligatoire en Algérie. Il est parti 28 mois. Il avait 20 ans.
Le souvenir principal que j’en garde, c’est l’absence.
Nous avions 8 ans d’écart et il était très bienveillant à mon égard. Il s’occupait de moi car nos parents travaillaient tous les deux.
Je me souviens qu’après son départ en Algérie, chaque matin, je me demandais si Richard était encore vivant.
Il m’avait laissé ses disques et j’écoutais Jacques Brel, Léo Ferré et du jazz.
A Paris il allait écouter du jazz à Saint-Germain-des-Prés.
La première photo que nous avons reçue a été très difficile à regarder. Aujourd’hui elle l’est encore pour moi.
Cette photo a été prise lors d’une marche, Richard est amaigri, il semble très fatigué et j’imagine qu’il devait se demander pourquoi il était là.
Les concerts de jazz à Saint-Germain étaient bien loin.
Je ne me rappelle plus du jour exact de son départ.
Quatre de ses amis qui habitaient comme nous à Montparnasse sont partis à la même période que lui mais dans des lieux différents. Ils faisaient tous partie des appelés du Contingent.
Ils venaient souvent retrouver Richard chez nos parents et je les considérais comme des grands frères.
Pendant ces 28 mois Richard n’a croisé qu’une seule fois l’un d’entre eux dans les Aurès.
Lorsqu’ils sont rentrés à Paris ils se sont tous retrouvés. L’amitié était toujours la même mais ce n’était plus comme avant leur départ pour l’Algérie.
Richard est parti en septembre 1960.
Il était photographe et cet été-là il se trouvait dans le sud de la France pour faire des photos « des piges » afin de gagner un peu d’argent.
L’ordre de mobilisation est arrivé à Paris. Notre mère le lui a fait suivre en Poste Restante. Quand Richard a récupéré le courrier il était déjà en retard pour la convocation.
Il s’est présenté au Fort de Vincennes pour l’incorporation et s’est retrouvé, je ne sais pas pour combien de temps, dans un bataillon disciplinaire où un gradé lui a dit : tu n’aurais jamais dû être là !
Ensuite départ en train pour le camp de Sainte Marthe à Marseille, puis le bateau pour Alger. Après, destination Batna dans les Aurès.
Il a été incorporé dans une unité de Chasseurs d’un groupe d’appui,
Puis dans les Spahis – unités blindées.
Nous attendions ses lettres, il nous écrivait de temps en temps mais il ne racontait jamais ce qui se passait là-bas. Je pense que c’était mieux ainsi.
Je lui envoyais des lettres dans lesquelles je parlais un peu de la famille, de l’école… je voulais surtout qu’il sache que je pensais beaucoup à lui et il était si loin !
Il est venu une fois en permission. Nous étions tous heureux de nous retrouver mais il était ailleurs, il ne se sentait pas à sa place et il fallait repartir…
Heureusement là-bas il y avait les camarades .
A son retour je l’ai trouvé un peu changé, un peu triste.
A 20 ans il était drôle, il profitait de la vie.
Je ne lui ai pas posé de questions.
Il a vite repris son métier de photographe. Il a recommencé ses promenades dans Paris, il prenait tout le temps des photos.
Puis j’ai retrouvé son sourire et son humour et la vie a repris son cours.
Il a adhéré à la FNACA, c’était important pour lui.
Mais les souvenirs on n’en parle plus.


EXTRAITS DE LETTRES

Batna, le 20/02/1961

Je te remercie pour ta gentille lettre. Maman dans ses lettres ne me dit pas grand chose de votre vie à Paris.
Je ne sais pas encore si je vais être muté à la zone. Je termine ma lettre en t’embrassant très fort. Je pense beaucoup à ma petite sœur.
Richard

***

Batna, le 16/04/1962

J’ai appris par Maman que tu étais triste de te retrouver seule pour les vacances. J’espère que cela passera vite. Le soir lorsque l’on est seul on a un peu le cafard. J’espère que ce petit cafard ne durera pas trop longtemps.
Je t’embrasse bien fort.
Richard

***

Batna, le 14/07/1962

J’ai bien reçu ta carte aujourd’hui. J’espère que vous êtes bien installés et que tu te plais dans ce nouveau pays.
Peu de choses à te dire, j’attends la libération en espérant vous revoir tous bien vite car vous me manquez beaucoup…
Fais de belles photos de ce pays que je ne connais pas.
Je termine en ne voyant plus rien à te dire. Passe de très bonnes vacances.
Je t’embrasse bien fort.
Richard

PS. J’espère que tu excuseras cette courte lettre, j’ai la flemme et il fait tellement chaud !

 


 

PHOTOS ISSUES DE LA COLLECTION PRIVÉE DE MME LE SI